Article signé par le coordonnateur de la FLHLMQ, Robert Pilon, et publié dans le bulletin du Regroupement des offices d'habitation du Québec (Quadrilatère de décembre 2016)
Claude Ryan serait content ! Dès 1993, il annonçait que 650 offices municipaux d’habitation au Québec, c’était beaucoup trop comparativement à la soixantaine d’offices en Ontario ! Cela aura finalement pris 23 ans pour qu’un de ses successeurs, Martin Coiteux, se décide à concrétiser son souhait. Mais est-ce vraiment sérieux ? Ou peut-on attendre, en retrait, que cela se dissipe avec les prochaines élections dans deux ans ?
Malgré la bonhommie de son adjoint-parlementaire, Norbert Morin, qui parcourt le Québec depuis le mois de juin pour expliquer gentiment aux élus municipaux et aux directions d’office que l’heure est venue de soumettre des propositions de regroupement volontaire, il ne faut pas oublier que le ministre s’est donné les moyens de ses ambitions.
Il a travaillé pendant de très longues heures en commission parlementaire pour mener à bien l’adoption de la loi 83, qui lui accorde le pouvoir de décréter des fusions à compter du 1er juillet 2017.
La Société d’habitation du Québec n’a pas chômé, elle non plus, créant son comité de coordination des regroupements d’office, avec la collaboration des deux grandes unions municipales, du Regroupement des offices d’habitation du Québec (ROHQ) et de la Fédération des locataires de logements municipaux du Québec (FLHLMQ). Le guide d’accompagnement de la restructuration du réseau des offices, publié en octobre, constitue le premier fruit de cette nouvelle alliance.
Dans un tel contexte, penser que les offices vont échapper encore longtemps à la restructuration, qui a déjà touché les autres composantes des services publics de l’État, et adopter la stratégie de l’autruche est probablement le meilleur moyen de ne pas prendre la tête de la parade qui va passer dans sa localité.
Mettre fin aux offices à deux vitesses !
Lors des consultations menées par la SHQ, de nombreux locataires ont repris la résolution adoptée à l’unanimité lors du 16e congrès de la FLHLMQ, à savoir qu’il serait utile que les offices soient regroupés, dans la mesure du possible, sur la base du territoire des municipalités régionales de comté (MRC) afin de gérer autour de 300 logements et pouvoir disposer d’un maximum de ressources.
À Rimouski, Muriel Langlois, trésorière à l'Association des HLM de Matane, a demandé à la SHQ de prendre le leadership d'asseoir les villes et les offices de chaque MRC à la même table pour formuler des propositions de regroupement. À Joliette, Suzanne Champagne, de l’Assomption, a expliqué qu’en assemblée générale, les locataires avaient voté une résolution demandant le regroupement des quatre offices et des 249 logements de la MRC. À St-Jérôme, de nombreux locataires des environs de Mont-Laurier ont réclamé le regroupement de leurs sept petits offices au sein de la MRC d’Antoine-Labelle. À Gatineau, Ronald Joanisse, de Chenéville, a exprimé sa préférence pour le regroupement des cinq offices de la MRC de Papineau.
Si les locataires se prononcent en faveur du regroupement des offices, ce n’est pas pour faire plaisir au gouvernement mais bien parce que depuis vingt ans, à chacun de nos congrès, nous avons constaté que tous les locataires n’ont pas accès à des services de même qualité et qu’il existe, de fait, un réseau à deux vitesses dans nos HLM. Cette réalité a d’ailleurs été confirmée, en 2014, par une étude de la firme CFC management et ressources humaines qui concluait que la qualité des services était moindre dans les offices de moins de 100 logements.
Il en est également de même pour la démocratie et la transparence qui pourraient être mieux servies puisque seulement 47 % des offices de moins de 100 logements respectent leur obligation d’avoir un comité consultatif de résidants (CCR) et que 10 % n’ont pas de comité de sélection selon l’Évaluation du programme HLM produit par la SHQ en 2011.
Nous pourrions aussi ajouter que le morcellement des offices limite la capacité des offices à s’impliquer dans des projets de développement social au profit des locataires, empêche la mise en place d'une liste d'attente centralisée pour les demandeurs et affaiblit la capacité de réaliser de nouveaux projets d'habitation dans les régions.
C’est pourquoi l’expérience récente de la fusion de six petits offices pour créer l’Office régional du Lac-des-Deux-Montagnes et la fusion d’une centaine d’offices en 2002 ont permis aux locataires de réaliser qu’ils et elles pourraient être beaucoup mieux desservi-e-s par des offices ayant des ressources comme Matane, Lévis, Drummondville, Rimouski, St-Jérôme, Chandler, Gatineau, Trois-Rivières, Thetford Mines, Victoriaville, etc.
Se regrouper pour les bonnes raisons !
Si le principe derrière le regroupement des offices est bon, et que nous y souscrivons avec enthousiasme, rien ne garantit cependant que le résultat final sera forcément bon lui aussi. Cela dépendra pour beaucoup de la façon dont les décisions seront prises dans chacune des régions du Québec sur les enjeux qui détermineront la capacité réelle ou non des nouveaux offices d’assumer de plus grandes responsabilités en habitation sociale.
Ainsi, selon nous, il est essentiel que les débats cruciaux sur le choix du territoire de regroupement, sur l’emplacement du siège social, sur la nomination du DG, sur l’organisation des services, etc. ne soient pas menés en catimini par quelques dirigeants ou présidents locaux pour se tailler un petit fief sur mesure mais bien menés dans le cadre d’un débat public plus large impliquant l’ensemble des élu-e-s dans la perspective d’offrir de meilleurs services. Dans cet esprit, nous souscrivons sans réserve à la recommandation contenue dans le Guide d’accompagnement de la SHQ à l’effet de créer un Comité de transition et de concertation (CTC) sur le plan supralocal en collaboration avec la municipalité régionale de comté (MRC). Il s’agit de la meilleure tribune pour décloisonner le débat et réfléchir dans une perspective d’ensemble aux meilleures solutions pour l’avenir des HLM.
L’implication active des locataires avant, pendant et après
Comme nous avons pu le constater lors de notre congrès de juin 2016 et à l’occasion de la tournée de consultation organisée par la SHQ, nombreux sont les locataires qui souhaitent contribuer à la mise en place des nouveaux offices. Il s’agit pour nous de partir du bon pied pour instituer une pratique de franche collaboration qui rayonnera par la suite à tous les niveaux pour les années à venir. Notre fédération se fera un point d’honneur de fournir la formation nécessaire aux locataires pour qu’ils et elles puissent jouer un rôle constructif au sein de leurs nouvelles structures.
Cette volonté de collaboration commence dès maintenant avec notre intention de concrétiser dans le plus grand nombre de régions possibles la recommandation de la SHQ « qu’au moins un locataire choisi parmi les locataires déjà élus au CA des différents offices concernés par le regroupement participe aux travaux du CTC. Cette participation permettra au CTC de prendre connaissance, au fur et à mesure, des questions, appréhensions ou propositions exprimées par les locataires et de leur fournir, au bon moment, des réponses précises ».
Ensuite vient la mise en place d’un comité consultatif de résidant-e-s (CCR) dans chacun des nouveaux offices où un plan d’affaire aura été accepté par la SHQ et l’élection des deux locataires qui auront à siéger au conseil d’administration provisoire afin de prendre les décisions pour rendre opérationnel le nouvel office.
Sur la question stratégique de s’assurer que le regroupement des petits offices permettra non seulement de maintenir les services de proximité mais de les améliorer, notre fédération a été grandement impressionnée lors des consultations par l’expérience des concierges-résidants. À Saint-André-d’Argenteuil, dans les Laurentides, et à Saint-Jacques, dans Lanaudière, des locataires permettent à l’office d’assurer une présence active et permanente dans le HLM. Ils sont ses yeux, ses oreilles et surtout ses mains pour effectuer l’entretien ménager, déneiger les accès et assurer la sécurité. Cette option devrait être sérieusement étudiée dans l’organisation du travail, surtout en région éloignée, puisqu’elle donne de bons résultats selon plusieurs locataires et directeurs. Une telle pratique existe sur une plus grande échelle en Wallonie où une liste des tâches est affichée dans chaque immeuble avec le montant de la rémunération mensuelle.
Sur le plan de la mission sociale des HLM, forte de l’expérience des offices regroupés en 2002 et en 2013, notre fédération est fermement convaincue que la formation d’équipes de travail multidisciplinaire au sein des nouveaux offices rendra possible le développement de nouveaux partenariats avec les locataires organisés en CCR sur des enjeux comme le vivre ensemble, la réussite scolaire, l’insertion sociale, la perte d’autonomie, la santé mentale, etc. Ce sont les résultats de ces initiatives communes qui témoigneront le mieux du bien-fondé des efforts mis dans le regroupement et la concertation de nos forces.