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Les fusions vues par une locataire

Soumis par Rédaction le
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Le journaliste Maxime Bergeron du journal La Presse a publié, le 14 janvier, une chronique intéressante sur les fusions d'offices qui donne la parole à une locataire de HLM, Louise Mainville de Sainte-Thérèse. Nous apprécions son témoignage.

Fusions, restructurations : les HLM en mode « efficacité »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le Québec compte 66 400 HLM sur son territoire.

Maxime Bergeron

Louise Mainville a 76 ans, « bientôt 77 »

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Elle vit dans une habitation à loyer modique (HLM) de la banlieue nord de Montréal depuis 2005, quand un divorce houleux lui a fait tout perdre.

La grand-mère de quatre petits-enfants m’a raconté les soupers spaghetti, les soirées bingo et les sorties « aux pommes » qu’elle organise avec d’autres bénévoles. Le bel esprit de communauté qu’elle partage avec ses voisins.

Mais notre conversation a surtout porté sur des questions plus arides : fusions, restructurations, gouvernance, appels d’offres…

Car Louise Mainville se trouve au cœur d’une transformation majeure – et méconnue – qui balaie le secteur du logement social depuis quelques années. Un grand virage vers les « gains d’efficacité », la « performance » et « l’optimisation ».

Des termes qu’on a plus tendance à associer au monde des affaires qu’à celui des HLM.

J’ai moi-même été surpris par tout ce qui est en train de bouger.

Réglons d’abord ceci : la pénurie de logements sociaux reste criante au Québec. Il en faudrait des dizaines de milliers, demain matin, juste pour résorber les listes d’attente.

Mais dans la gestion de ce parc d’appartements, c’est tout le contraire.

Il y a une surabondance de structures en tous genres.

Entre les offices municipaux d’habitation (OMH) – qui gèrent les HLM –, les organismes à but non lucratif (OBNL) et les coopératives – qui s’occupent eux aussi de logement communautaire –, et les groupes de ressources techniques (GRT) – qui en construisent –, on retrouve un bon nombre de dédoublements.

La situation est connue depuis longtemps.

L’ancien gouvernement libéral de Philippe Couillard a voulu corriger ça en 2016. Il a pondu une loi pour mettre la table à une grande réforme. Objectif : regrouper les OMH.

Avant le changement, on en comptait 538, répartis dans les villes et les villages de la province. Chacun avec son propre conseil d’administration et sa direction générale, comme la loi le prévoit. Des milliers de gestionnaires plus ou moins chevronnés, souvent à temps partiel.

Il y avait beaucoup de monde à la messe. Trop de monde. Mais sur le terrain, les services de première ligne aux locataires, comme l’entretien et les réparations, laissaient souvent à désirer.

Après une première vague de fusions, le nombre d’OMH est passé de 538 à 143 il y a quelques années. Une nouvelle ronde a réduit le total à 107 depuis le 1er janvier dernier. Ils gèrent les 66 400 HLM à travers la province.

Louise Mainville a vécu ces restructurations en première ligne. Elle est très investie dans l’association de résidants de son HLM, situé à Sainte-Thérèse, et dans les instances locales de gouvernance de son OMH.

Depuis les regroupements, l’office qui gère son immeuble a maintenant environ 1000 unités sous gestion. La femme n’y voit que des avantages. D’autres locataires à qui j’ai parlé, aussi.

Avec de gros offices comme ça, tu as plus de personnel, explique-t-elle. Il y a quelqu’un qui est affecté à la sélection des locataires. Un autre qui s’occupe des réparations, un autre de la conciergerie. Ce n’est pas la même personne qui fait tout.

Louise Mainville, résidante en HLM

En plus de compter sur davantage d’employés, les plus gros OMH jouissent d’économies d’échelle au moment de faire des réparations.

Plus il y a de volume, plus ça attire de soumissionnaires. Et plus ça fait baisser la facture.

Le gouvernement paie la note – la Société d’habitation du Québec est propriétaire de tous les immeubles de HLM –, mais ce sont les offices locaux qui doivent planifier et gérer les travaux. Ils ont maintenant une meilleure force de frappe. Judicieux, alors que plus de 3 milliards de dollars seront disponibles pour rénover tous les immeubles d’ici quelques années.

Mme Mainville me donne l’exemple d’un contrat octroyé pour rénover 12 cuisines réparties dans plusieurs immeubles gérés par son OMH, l’été dernier. « On a eu cinq ou six soumissions. On a passé ça au conseil d’administration au mois de septembre. Au mois d’octobre, ils ont commencé les cuisines, et en décembre, c’était fini. »

Aussi bien dire que ça s’est fait à la vitesse de l’éclair pour le secteur public.

Toutes les fusions d’OMH ont été faites jusqu’ici sur une base volontaire.

La Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec (FLHLMQ) se satisfait du chemin parcouru depuis 2016. Mais il reste des offices récalcitrants, qui refusent de se fusionner, pour des questions d’ego ou de territorialité.

La FLHLMQ estime que le gouvernement devrait leur forcer la main. Car en fin de compte, ce sont les locataires, privés de services ou d’un entretien adéquat de leur habitation, qui en font les frais.

J’en ai discuté avec la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau. Elle ne compte pas imposer de fusions ou de regroupements, étant donné que le nombre d’OMH a déjà été divisé par cinq au cours des dernières années, de 538 à 107.

Mais ailleurs dans l’écosystème du logement social, il y a encore beaucoup de place à l’optimisation, croit-elle. Cela est ressorti clairement lors d’un congrès où toute l’industrie était présente, en novembre dernier.

Le besoin de se professionnaliser, tout le monde l’a mentionné. Les mots “mutualisation” et “regroupement” sont venus d’eux-mêmes.

France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation

Contrairement aux HLM, qui sont détenus par l’État, les OBNL d’habitation sociale et les coopératives sont autonomes. Ils bénéficient de subventions, mais sont gérés par leurs propres équipes de direction et conseils d’administration.

La majorité de ces organismes comptent moins de 50 logements, souligne la ministre. Cette dispersion entraîne une multiplication des frais (comptabilité, entretien, assurances) et des difficultés de recrutement, sans réelle valeur ajoutée pour les locataires.

Solution proposée ? Québec veut faciliter les fusions entre des OBNL et des coopératives. Cela est impossible à l’heure actuelle sur le plan légal et demandera des « changements législatifs » à l’Assemblée nationale. La ministre Duranceau y travaille à court terme.

Vous l’aurez compris à la lecture de cette chronique : le monde du logement social (et abordable, et communautaire) n’est pas simple.

En plus de gérer et de rénover leur parc existant, les OBNL, les coops et les OMH peuvent proposer des projets de construction de logements.

Tout ce beau monde doit réussir à obtenir des subventions du Programme d’habitation abordable du Québec (PHAQ), qui est aussi ouvert à certains acteurs du secteur privé et à des philanthropes.

Pas évident de se démarquer…

Dans ce contexte de forte concurrence pour des fonds publics pas si abondants, le vent de fusions et de restructuration qui souffle sur le secteur du logement social apparaît tout à fait souhaitable.

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