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Des locataires endettés à leur insu

Soumis par Rédaction le
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richard

Source: LILA DUSSAULT, journal LA PRESSE du 17 août 2022.

En défaut de paiement pour un « déraillement administratif »

Des milliers de ménages montréalais à faibles revenus s’endettent à leur insu en raison de retards accumulés à l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), un « déraillement administratif » qui cause beaucoup de détresse, selon le Comité des résidants de HLM.

Au total, 3065 baux sont en retard dans leur processus de renouvellement à l’Office municipal d’habitation de Montréal, a appris La Presse. De ce nombre, 50 % sont arrivés à échéance en juin et juillet 2022, 15 %, de janvier à juin 2022 et 35 % sont en retard depuis 2021, selon Mathieu Vachon, directeur du service des communications de l’OMHM.

Ce sont donc des milliers de résidants de logements à loyer modique qui ne sont pas informés à temps du nouveau montant de leur loyer, dont le calcul s’effectue en se basant sur les revenus de l’année précédente. Incapables de savoir combien payer, ils risquent d’accumuler des dettes.

« Je connais des dizaines de locataires qui se sont retrouvés en défaut de paiement, quand c’était la faute de l’Office municipal [d’habitation de Montréal] », affirme Robert Pilon, coordonnateur de la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec (FLHLMQ).

En septembre dernier, un audit de la Société d’habitation du Québec sur l’OMHM, obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et consulté par La Presse, observait déjà que l’organisme public avait « plusieurs retards pour les reconductions de bail, ce qui implique que certains locataires ne paient pas le coût réel de leurs logements ».

Or, en pleine crise des loyers, le spectre d’une éviction est redouté, selon des témoignages recueillis par La Presse. D’autant que de nombreux locataires se sont démenés pour fournir leurs preuves de revenus et contacter les agents de location à l’OMHM, sans succès.

« C’est leur faute »

« Je n’avais pas encore reçu mon nouveau bail, mais la facture, ça, ils me l’ont envoyée : 2320 $ de retard », s’insurge Sylvie Proulx, résidante d’un HLM de Rosemont. Son renouvellement de bail était dû pour le 1er avril 2021, mais elle n’a reçu son avis qu’un an plus tard, le 30 mars 2022, affirme-t-elle.

Bénéficiaire de l’aide financière de dernier recours, la dame de 59 ans habite avec son fils qui travaille comme aide-cuisinier. Les revenus de celui-ci avaient augmenté de façon significative en 2021.

Sylvie Proulx s’attendait à une hausse de loyer, mais elle ne savait pas de combien. Elle a fourni la documentation nécessaire à son dossier à plusieurs reprises, en main propre. Elle a remboursé sa dette en piochant dans le revenu de son fils et en se serrant (beaucoup) la ceinture. D’autres personnes dans son immeuble devaient des montants de 300 $ à 400 $, se souvient-elle.

Et elle est loin d’être la seule. « Nous recevons régulièrement des appels de détresse de locataires qui reçoivent soudainement une lettre, parfois même des mains d’un huissier, les avisant d’un retard de paiement de loyer et du fait que leur dossier est transmis à un agent de recouvrement, alors qu’ils n’ont reçu aucun préavis », peut-on lire dans une lettre envoyée en février dernier au conseil d’administration de l’OMHM par Richard Gagné, président du Comité consultatif des résidants de HLM.

« Lorsque les locataires, paniqués, tentent de rejoindre leur agent de location, les boîtes de messagerie vocale sont pleines et ils ne reçoivent aucune réponse à leurs courriels, ce qui augmente [leur] sentiment d’impuissance », dénonce aussi M. Gagné.

L’OMHM reconnaît le problème

« Effectivement, l’OMHM a connu un certain retard dans le renouvellement des baux depuis l’an dernier », a reconnu l’organisme public dans un courriel envoyé à La Presse mardi.

Plusieurs raisons, notamment les bouleversements occasionnés par la pandémie et la pénurie de main-d’œuvre, expliquent les délais, soutient Mathieu Vachon, directeur du service des communications. Une restructuration de l’OMHM à l’orée de la pandémie a aussi accentué le phénomène, selon une lettre de la directrice générale, Danielle Cécile, envoyée en février dernier à Richard Gagné.

Un manque de collaboration de la part de certains locataires pour fournir leurs documents peut en plus ralentir le processus. Sur les 3000 dossiers en retard en ce moment, 500 le sont parce que les ménages refusent de fournir les documents nécessaires, selon M. Vachon.

Depuis février, l’Office a mis sur pied un système pour éviter que des lettres de recouvrement ne soient envoyées systématiquement aux locataires. Des ententes de paiement sont aussi mises en place en cas de dette.

« MACHINE ADMINISTRATIVE »

Une solution pour diminuer les retards serait de favoriser le renouvellement de bail automatique pour les ménages ayant des revenus fixes, estiment Richard Gagné et Robert Pilon, de la FLHLMQ. Une solution déjà à la disposition de l’Office en vertu de la réglementation provinciale sur les logements à loyer modique. « Le fond de l’affaire, c’est de simplifier cette énorme machine administrative de l’OMHM pour lui permettre de se rapprocher des locataires et de leur offrir des services directs beaucoup plus personnalisés », soutient M. Gagné.

Pas d’évictions… ou presque

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Les 16 000 logements subventionnés par un programme de supplément au loyer sont exclus du bilan d’évictions de l’OMHM.

L’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) affirme ne pas avoir évincé de locataires de HLM en défaut de paiement, mais les 16 000 logements subventionnés par un programme de supplément au loyer (PSL) sont exclus de ce bilan.

C’est le cas de Michele Rock, que La Presse avait rencontrée peu après le 1er juillet, au moment où elle s’apprêtait à être évincée de son logement. Nous avons fait le suivi avec elle par la suite, pour constater que sa situation s’apparente fortement à celle de milliers d’autres locataires de l’OMHM.

En 2019, le conjoint de Michele Rock a déménagé avec elle, dans son appartement subventionné situé dans la coopérative d’habitation solidarité Fusion Verte, dans l’est de Montréal.

Michele Rock affirme avoir informé immédiatement l’aide sociale de cette cohabitation nouvelle avec son conjoint en 2019. Son revenu a par ailleurs augmenté dès décembre 2019, selon ses relevés bancaires, que La Presse a pu consulter.

Dans la foulée, elle a tenté de joindre son agente de location de l’OMHM, responsable de sa subvention.

Michele Rock, son conjoint et son fils, quelques jours avant leur éviction de la coopérative d’habitation solidarité Fusion Verte, dans l’est de Montréal.

« Un mois passe, pas de nouvelles. Deux mois, pas de nouvelles. On entame le troisième mois, ça commence à me chicoter, mais [l’agente] était assez dure à rejoindre. On lui laissait des messages, et des messages, et des messages. Elle ne m’a jamais envoyé de documents. Quand je suis venue pour la rappeler après, c’était une autre personne. »

Loyer payé

En attendant, Michele Rock paye tous les mois sa part de loyer à la coopérative Fusion Verte, selon ses relevés bancaires. Elle dit avoir appris qu’elle était en défaut de paiement au détour d’une conversation dans le corridor avec des gestionnaires de sa coopérative.

Lors de son renouvellement de bail, en octobre 2020, son loyer a presque doublé, mais Mme Rock affirme qu’elle n’a jamais été avisée. Selon le jugement du Tribunal administratif du logement rendu en décembre 2021 par le juge Claude Fournier et ordonnant son éviction, il est indiqué que son bail débutait en octobre 2020.

Mme Rock n’avait payé qu’une portion de son loyer pour les mois d’octobre, novembre et décembre. Elle avait donc accumulé une dette de 684 $, à son insu.

Qui plus est, Mme Rock soutient que ses tentatives pour prendre une entente de paiement avec son locateur n’ont jamais porté leurs fruits. La coopérative d’habitation n’avait pas répondu à La Presse au moment d’écrire ces lignes.

Michele Rock est aujourd’hui hébergée chez sa mère. Son fils a été placé et son conjoint est hospitalisé. Quant à ses chats, ils sont hébergés temporairement à la SPCA.

Les bénéficiaires d’un PSL exclus

L’OMHM affirme « qu’aucun locataire de HLM n’a eu de dossier ouvert au Tribunal administratif du logement en raison des retards de reconduction des baux ».

Toutefois, les locataires comme Mme Rock bénéficiant d’un programme de supplément au loyer (PSL) – soit près de 16 000 ménages à Montréal – ne sont pas comptabilisés dans ce bilan.

« Lorsqu’il y a défaut des obligations des locataires, ce sont les propriétaires qui ouvrent des dossiers au TAL », explique Mathieu Vachon, directeur du service des communications de l’OMHM. « Nous demandons aux propriétaires de nous aviser lorsqu’il y a défaut de paiement afin de s’assurer que ce n’est pas en raison d’un retard de reconduction de bail du côté de l’OMHM. »

À l’heure actuelle, Mme Rock, en plus d’avoir perdu son logement, n’est plus admissible à aucune subvention de l’OMHM jusqu’au remboursement de sa dette, jusqu’à concurrence de 10 ans.

EN SAVOIR PLUS

  • 55 000
    Nombre de Montréalais vivant dans un logement à loyer modique

    SOURCE : OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION DE MONTRÉAL

    28 810
    Nombre de logements en HLM gérés par l’OMHM

    SOURCE : OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION DE MONTRÉAL

  • 1480
    Nombre de dossiers en retard pour le renouvellement d’un programme de supplément au loyer en date du 16 août

    SOURCE : OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION DE MONTRÉAL

Photo de Richard Gagné, président du Comité consultatif des résidants de HLM : DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE